Blog / Films sur le deuil assisté par IA: Analyse des Linceuls de Cronenberg

Films sur le deuil assisté par IA: Analyse des Linceuls de Cronenberg

Jacky West / May 7, 2025

Blog Image

Films sur le deuil assisté par IA: Analyse des Linceuls de Cronenberg

Dans un monde où la technologie s'immisce dans tous les aspects de notre existence, même les plus intimes comme le deuil, le cinéma explore ces nouvelles frontières avec une fascination mêlée d'inquiétude. Les Linceuls, dernier film de David Cronenberg sorti en 2025, s'inscrit dans cette réflexion en proposant une vision à la fois troublante et fascinante de l'utilisation de l'intelligence artificielle pour surmonter la perte d'un être cher. Mais ce film est loin d'être le seul à explorer cette thématique devenue centrale dans notre rapport contemporain à la mort.

La techno-fable du deuil selon Cronenberg

Dans Les Linceuls, Cronenberg met en scène Karsh (Vincent Cassel), un homme d'affaires et scientifique inconsolable après la mort de sa femme Rebecca. Pour pallier cette douleur insurmontable, il développe une technologie permettant de visualiser en temps réel la décomposition des corps des défunts via un smartphone. Ce dispositif, commercialisé à l'échelle mondiale pour une clientèle fortunée, devient rapidement un business florissant.

Cette prémisse, aussi macabre soit-elle, s'inscrit parfaitement dans la filmographie de Cronenberg qui a toujours exploré les rapports complexes entre technologie et corps humain. Mais ici, le cinéaste canadien ajoute une dimension personnelle puisqu'il est de notoriété publique qu'il a lui-même vécu un deuil douloureux après la perte de sa femme Carolyn en 2017, qui était également sa productrice depuis 1979.

L'esthétique clinique du deuil technologique

La première partie du film frappe par sa rigueur graphique et son esthétique épurée. Les architectures minimalistes des « cybercimetières » font écho à l'apparence stylisée de Vincent Cassel, comme si le personnage lui-même était devenu un avatar déshumanisé par sa propre technologie. Cette approche visuelle rappelle l'esthétique numérique contemporaine, où la perfection des lignes masque souvent un vide émotionnel.

La mise en scène des corps en décomposition, captés par les caméras high-tech, est traitée avec une élégance paradoxale qui rend le propos d'autant plus dérangeant. Cronenberg parvient à créer une tension permanente entre la beauté formelle des images et l'horreur de ce qu'elles représentent.

L'IA comme substitut émotionnel : un phénomène contemporain

Au-delà de sa dimension fictionnelle, Les Linceuls fait écho à une réalité de plus en plus présente : l'utilisation des technologies d'IA pour maintenir un lien avec les défunts. En 2025, plusieurs applications permettent déjà de créer des avatars numériques des personnes disparues, capables d'interagir avec les vivants sur la base des données laissées par le défunt.

Technologies de deuil assisté par IA Fonctionnalités Questions éthiques
Chatbots mémoriels Simulation de conversations avec le défunt basée sur ses messages passés Représentation fidèle ou idéalisée?
Avatars numériques Reconstruction visuelle et vocale du défunt Consentement préalable nécessaire?
Mémoriaux interactifs Espaces virtuels où interagir avec la mémoire du défunt Risque de deuil pathologique
Surveillance post-mortem Vision en temps réel des corps (fiction de Cronenberg) Voyeurisme morbide et commercialisation de la mort

Ces technologies soulèvent des questions éthiques fondamentales. Les risques liés à ces utilisations de l'IA sont nombreux : dépendance émotionnelle, incapacité à achever le processus de deuil, ou encore exploitation commerciale de la souffrance humaine.

La rupture narrative comme reflet du traumatisme

L'un des aspects les plus intrigants des Linceuls réside dans sa structure narrative déséquilibrée. Après une première partie d'une élégance glaciale, le film bascule dans une surenchère d'éléments narratifs disparates : paranoïa, manipulations géopolitiques, vengeance familiale, consortium chinois et menaces algorithmiques se mêlent dans un tourbillon parfois confus.

Cette rupture formelle peut être interprétée comme un choix délibéré de Cronenberg pour représenter le caractère chaotique et irrationnel du deuil. Comme l'explique Jean-Michel Frodon dans sa critique : « Il y a dans la forme même, dans son imperfection bricolant extrême sophistication et trivialité, quelque chose comme un grognement sourd, volontairement inarticulé, contre la douleur. »

Cette approche rappelle les tentatives contemporaines de représenter des émotions complexes à travers des structures narratives non-linéaires ou fragmentées, que ce soit dans le cinéma, la littérature ou même les expériences de réalité virtuelle.

Le double comme motif récurrent

Le film introduit également le motif du double à travers le personnage de Terry, sœur jumelle de Rebecca, toutes deux interprétées par Diane Kruger. Ce dédoublement, qui pourrait sembler un artifice scénaristique convenu, prend une dimension particulière dans le contexte des technologies d'IA actuelles.

En 2025, les outils d'IA générative sont capables de créer des doubles numériques presque parfaits, soulevant des questions sur l'authenticité et l'unicité de l'identité humaine. Le film explore cette thématique en montrant comment la présence de Terry devient à la fois une consolation et une torture pour Karsh, incapable de faire la distinction entre le souvenir de sa femme et cette présence qui lui ressemble tant.

Illustration complémentaire sur deuil assisté par IA

Comparaison avec d'autres œuvres sur le deuil et la technologie

Si Les Linceuls se distingue par son approche radicale, d'autres œuvres ont exploré les liens entre deuil, mémoire et technologie avec des perspectives différentes :

  • Be Right Back (Black Mirror) : Un épisode qui explore la création d'un androïde à l'image d'un défunt à partir de ses données numériques.
  • Her (Spike Jonze) : Bien que ne traitant pas directement du deuil, ce film aborde l'attachement émotionnel à une entité artificielle.
  • Marjorie Prime (Michael Almereyda) : Une exploration plus contemplative de l'utilisation d'hologrammes pour recréer les défunts.
  • Upload (série Amazon) : Une vision plus légère mais non moins pertinente de la conscience numérique après la mort.

Ce qui distingue Les Linceuls de ces œuvres est son refus catégorique de proposer une résolution ou un apaisement. Là où d'autres récits explorent les possibilités de guérison à travers la technologie, Cronenberg choisit délibérément de montrer l'impasse d'une telle approche.

La technologie face à l'irréductible réalité de la perte

Au fond, Les Linceuls peut être lu comme une critique acerbe de notre époque techno-solutionniste, où chaque problème humain est supposé trouver sa résolution dans une innovation technologique. Les technologies d'IA génèrent des images de plus en plus réalistes, mais peuvent-elles véritablement combler le vide laissé par un être cher?

Le film suggère que non seulement elles échouent à le faire, mais qu'elles peuvent aggraver la souffrance en maintenant le sujet endeuillé dans une relation pathologique avec le défunt. Karsh, malgré toute sa richesse et son génie technologique, ne parvient pas à surmonter sa douleur - il la transforme plutôt en business, la reproduit et la commercialise.

Cette critique résonne particulièrement à notre époque où les assistants IA promettent de résoudre tous nos problèmes, y compris les plus profondément humains comme le deuil.

La monstruosité comme métaphore

Cronenberg utilise délibérément la notion de « monstre » dans son double sens étymologique : ce qui est montré (monstrum) et ce qui avertit (monere). Les images des corps en décomposition sont littéralement « montrées » via les smartphones des clients de Karsh, tandis que le film lui-même fonctionne comme un avertissement contre la tentation de transformer le deuil en spectacle technologique.

Cette approche fait écho aux préoccupations contemporaines concernant la frontière de plus en plus floue entre réalité et simulation dans notre monde saturé de technologies numériques.

Conclusion : au-delà de la techno-consolation

Les Linceuls n'est pas tant un film sur le deuil que sur l'impossibilité du deuil dans une société qui refuse d'accepter la finitude humaine. En montrant l'échec spectaculaire de la tentative de Karsh de surmonter sa perte par la technologie, Cronenberg nous invite à reconsidérer notre rapport à la mort et au deuil à l'ère numérique.

Le film nous rappelle que malgré tous nos progrès technologiques, certaines expériences humaines fondamentales comme la douleur de la perte restent irréductibles à toute solution technique. C'est peut-être dans cette reconnaissance de nos limites que réside le véritable processus de guérison.

Si vous souhaitez explorer davantage les possibilités et les limites des technologies d'IA dans la création de contenu émotionnel et personnel, Roboto.fr vous offre des outils puissants mais éthiques pour exprimer vos idées tout en respectant l'authenticité des expériences humaines.