L'IA au service de l'État: le plan controversé de remplacer les fonctionnaires
Jacky West / May 22, 2025
L'IA au service de l'État: le plan controversé de remplacer les fonctionnaires
Dans un contexte où l'intelligence artificielle transforme de nombreux secteurs d'activité, une nouvelle tendance inquiétante émerge aux États-Unis. Le Département de l'Efficacité gouvernementale (DOGE), dirigé par Elon Musk sous l'administration Trump, envisage désormais de remplacer des dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux par des systèmes d'intelligence artificielle. Cette stratégie soulève de nombreuses questions sur l'avenir de l'emploi public, la fiabilité des services administratifs et les implications éthiques d'une telle transformation. Analysons en profondeur ce phénomène et ses potentielles conséquences en France et dans le monde.
Le DOGE d'Elon Musk: un département controversé aux ambitions radicales
Créé dès l'investiture de Donald Trump pour son second mandat, le Département de l'Efficacité gouvernementale (dont l'acronyme DOGE fait référence à la cryptomonnaie préférée de Musk) s'est rapidement illustré par des mesures drastiques. Sa mission initiale consistait à réduire les dépenses publiques en procédant à des licenciements massifs dans l'administration fédérale, tout en supprimant des financements jugés non prioritaires par la nouvelle administration.
Aujourd'hui, le DOGE franchit une nouvelle étape en annonçant vouloir utiliser l'intelligence artificielle pour remplacer environ 70 000 fonctionnaires à temps plein. Cette stratégie s'inscrit dans la continuité des méthodes de management controversées d'Elon Musk, connues pour leur brutalité et leur efficacité à court terme dans ses entreprises privées comme Tesla ou SpaceX.
Le plan d'automatisation: remplacer l'humain par la machine
Selon Anthony Jancso, un proche collaborateur de Musk et ancien de Palantir, le DOGE a identifié plus de 300 types de postes dont les processus sont suffisamment standardisés pour être automatisés. D'après un message interne authentifié par le média Wired, cette initiative permettrait de "libérer au moins 70 000 équivalents temps plein pour des tâches à plus fort impact au cours de l'année prochaine".
Le plan repose sur l'utilisation de programmes d'intelligence artificielle avancés capables d'effectuer des tâches administratives jusqu'alors réalisées par des humains. Ces systèmes seraient basés à Washington et ne nécessiteraient pas d'habilitation de sécurité, contrairement aux fonctionnaires qu'ils remplaceraient.
Parmi les outils déjà développés figure "AutoRIF", un système conçu pour automatiser le processus de licenciement des fonctionnaires fédéraux. Cette approche témoigne d'une vision technocratique où l'IA devient non seulement l'outil de remplacement, mais aussi l'instrument permettant d'organiser la transition elle-même.
| Type d'automatisation | Nombre de postes concernés | Économies estimées | Défis techniques |
|---|---|---|---|
| Tâches administratives standardisées | Plus de 300 types de postes | Plusieurs milliards de dollars | Complexité des réglementations variables selon les agences |
| Traitement de documents | Milliers de postes | Réduction significative des délais | Nécessité de vérification humaine |
| Service client et assistance | Dizaines de milliers d'agents | Disponibilité 24/7 | Risque d'incompréhension des cas complexes |
| Analyse de données | Plusieurs milliers d'analystes | Traitement plus rapide | Biais potentiels dans les algorithmes |
Les acteurs derrière cette transformation numérique de l'État
L'équipe constituée autour du DOGE révèle une constellation d'entrepreneurs et d'ingénieurs majoritairement issus du secteur privé, et particulièrement des entreprises spécialisées dans l'IA. Anthony Jancso et Jordan Wick, cofondateurs d'AccelerateX (une entreprise qui prétend résoudre des problèmes sociaux grâce à l'IA), figurent parmi les principaux architectes de cette transformation.
Ces entrepreneurs ont collaboré avec des géants de l'IA comme OpenAI et Anthropic, apportant leur expertise technique au service d'une vision politique de réduction drastique de la taille de l'État. Cette convergence entre technologie de pointe et idéologie politique soulève d'importantes questions sur l'indépendance de l'administration publique face aux intérêts privés.
Les limites techniques et pratiques du remplacement par l'IA
Malgré l'enthousiasme affiché par les promoteurs de cette initiative, plusieurs experts soulignent les obstacles majeurs à sa mise en œuvre. Un fonctionnaire fédéral interrogé anonymement par Wired estime que cette annonce relève davantage de la déclaration outrancière que d'un plan réaliste.
"De nombreuses agences ont des procédures qui peuvent varier considérablement en fonction de leurs propres règles et réglementations, et le déploiement de programmes d'IA à grande échelle entre les agences serait donc probablement très difficile", explique-t-il. Cette diversité réglementaire constitue un défi majeur pour des systèmes d'IA qui, malgré leurs progrès, peinent encore à s'adapter à des contextes complexes et changeants.
Oren Etzioni, cofondateur de la startup d'IA Vercept, soulève quant à lui la question de la fiabilité: "Nous voulons que notre gouvernement soit une institution fiable, et non un organisme à la pointe de la technologie. Il n'est pas nécessaire qu'il soit bureaucratique et lent, mais si les entreprises ne l'ont pas encore adoptée, est-ce vraiment au gouvernement que nous souhaitons voir être expérimentée l'IA de pointe?"

Les implications éthiques et sociales d'une administration automatisée
Au-delà des aspects techniques, cette initiative soulève des questions fondamentales sur la nature même du service public et de la démocratie. En remplaçant des fonctionnaires par des algorithmes, c'est toute une conception de l'État qui se trouve remise en question.
- Perte de l'expertise humaine: Les fonctionnaires apportent une compréhension nuancée des situations individuelles que les algorithmes peinent à reproduire.
- Risques de discrimination algorithmique: Les systèmes d'IA peuvent perpétuer ou amplifier des biais existants dans leurs décisions.
- Responsabilité et transparence: Qui sera responsable des erreurs commises par ces systèmes automatisés?
- Impact sur l'emploi: La suppression de dizaines de milliers d'emplois publics aura des conséquences économiques et sociales considérables.
- Sécurité des données: La centralisation des systèmes d'IA à Washington pose des questions de cybersécurité et de protection des données sensibles.
L'automatisation de l'État: un phénomène mondial à surveiller
Si l'initiative américaine se distingue par son ampleur et sa radicalité, elle s'inscrit dans une tendance mondiale d'intégration de l'IA dans les administrations publiques. En France, plusieurs ministères expérimentent déjà des solutions d'intelligence artificielle pour optimiser certaines procédures administratives, mais avec une approche plus progressive et encadrée.
Le Plan France IA 2025 prévoit notamment d'utiliser l'intelligence artificielle pour améliorer l'efficacité des services publics, tout en maintenant le contrôle humain sur les décisions importantes. Cette approche, plus équilibrée, vise à tirer parti des avantages de l'IA sans sacrifier les valeurs fondamentales du service public.
Cependant, l'expérience américaine pourrait accélérer cette tendance mondiale, créant une pression concurrentielle entre les États pour réduire leurs coûts administratifs grâce à l'automatisation. Cette course à l'IA gouvernementale risque de se faire au détriment de la qualité du service public et de l'emploi.
Vers un nouvel équilibre entre efficacité et humanité
Face à ces évolutions, il devient urgent de définir un cadre éthique et juridique pour l'utilisation de l'IA dans les administrations publiques. Plusieurs principes pourraient guider cette réflexion:
- Maintenir un contrôle humain sur les décisions importantes affectant les citoyens
- Garantir la transparence des algorithmes utilisés par l'administration
- Assurer l'équité et prévenir les discriminations algorithmiques
- Préserver l'expertise humaine dans les domaines complexes
- Accompagner la transition professionnelle des fonctionnaires concernés
Conclusion: entre progrès technologique et risques démocratiques
L'initiative du DOGE américain révèle les tensions fondamentales entre efficacité administrative et valeurs démocratiques à l'ère de l'intelligence artificielle. Si l'automatisation de certaines tâches répétitives peut légitimement améliorer le service public, le remplacement massif de fonctionnaires par des algorithmes pose des questions essentielles sur la nature même de l'État et sa relation avec les citoyens.
L'expérience américaine constitue un laboratoire grandeur nature dont les résultats influenceront probablement les politiques publiques du monde entier, y compris en France. Il appartient aux citoyens, aux experts et aux décideurs politiques de définir collectivement les limites de cette automatisation pour préserver l'essence humaine du service public.
Entre l'utopie technologique d'une administration parfaitement efficiente et le risque d'un État déshumanisé, un équilibre reste à trouver. La vraie intelligence ne serait-elle pas de combiner harmonieusement l'IA et l'humain plutôt que de chercher à remplacer l'un par l'autre?
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